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Contes d´Éternitée ©
Extraits
LA CRISE
La fin du siècle approchait à grands pas.
La crise régnait, maîtresse, à tous niveaux.
En ce bas monde et ailleurs -selon les dires de certains-, la colère grondait.
Il fallait un coupable. Sans tarder.
La vénérable Organisation des Nations Désunies, l´O.N.D.U., estima Éternitée responsable de toutes les crises passées, présentes et à venir.
"Je suis aussi innocente qu´une enfant qui vient de naître", prétendit
l´accusée, pour sa défense.
"Mauvaise foi évidente !" jugea le secrétaire général de l´institution.
À l´unanimité moins trois voix -celles du Passé, du Présent et du Futur-,
l´O.N.D.U. proclama Éternitée hors la loi.
"Ils se prennent pour qui, les hommes ? Nous verrons bien qui aura le dernier mot." fulmina Éternitée.
Trente-six minutes plus tard, l´O.N.D.U. revint sur sa décision.
Le communiqué suivant fut remis à la presse.
"Les prévisions météorologiques s´annonçant particulièrement mauvaises, inquiétantes et alarmantes même, nous, Organisation des Nations Désunies, avons décidé de réintégrer notre éminente consœur dans nos droits et nos lois.
Le vote, acquis à l´unanimité (moins trois voix) entre en vigueur dès
aujourd´hui".
L´ARTISTE
Au cours d´une de ses visites hebdomadaires, Éternitée oublia, dans l´atelier d´un peintre, le code secret de la création du monde.
L´artiste s´en empara.
Hélas ! Il intervertit les chiffres.
Depuis, ses œuvres ne tournent pas rond.
Du jour au lendemain, l´artiste devint célèbre.
LE JUSTE
Le Juste était fatigué.
Il en avait assez de n´être qu´un de ces trente-six Justes qui portent le monde.
"Un monde lourd à porter", pensait-il souvent.
Pourtant il accomplissait son devoir et personne ne le chicanait.
Il décida cependant de renoncer à sa charge.
Bien sür, à chaque génération, le Juste était relevé de sa fonction pour faire place à un autre Juste.
Mais une génération -vingt ans !- c´est long.
"Un pilier de plus ou de moins...", ronchonna-t-il. "Le monde se passera bien de moi."
Il quitta la confrérie et résolut de parcourir notre planète qu´il connaissait peu
Il prit un sac à dos, le bourra de livres : la Bible, le Talmud, le Zohar, tous les commentaires de tous les sages de tous les siècles. Et Shakespeare, et Baudelaire... Les œuvres complètes de Victor Hugo et celles de Saint-John Perse. Et toute la poésie du monde dans sa version originale, intégrale.
Et puis ...
Et puis encore ...
Il marcha longtemps, très longtemps, heureux de respirer le grand air.
Enfin il se sentait libre !
Un jour il eut fort mal.
Il consulta un médecin qui diagnostiqua une hernie extrêmement grave.
Le poids des livres avait eu raison de lui.
Le Juste mourut des suites de son opération.
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